Récits

L’islam et ses femmes savantes

Si le monde musulman eut ses imams, juristes et théologiens au masculin, les dames n’ont en réalité jamais été en reste. L’entourage du dernier des Prophètes d’Allah ﷺ en est déjà un exemple. Les femmes y étaient nombreuses, et toutes aussi assidues à ses appels que l’étaient ses compagnons, en première ligne ses épouses. Dévotes accomplies, elles étaient, régulièrement consultées en matière de religion. On doit ainsi et rien qu’à ʿĀʾisha, épouse la plus proche du Prophète ﷺ, la transmission de plus de 2200 de hadiths; quand plusieurs centaines d’autres remontent au reste de ses épouses. Sans elles, point de recueils de hadiths tels que nous les connaissons. Ayant vécu des décennies après l’hégire, elles seront toute leur vie consultées par les imams de la communauté lorsqu’il fallait être le plus au fait de la Tradition. Il en sera ainsi, aussi, des épouses des compagnons; Asmā bint Umays, qui épousa trois d’entre eux, dont Abū Bakr et Alī, en transmettra un grand nombre. Le fameux poète et théologien andalou Ibn Ḥazm compte ainsi que, rien que durant l’ère les compagnons, quelques 130 femmes avaient donné fatwa. Durant les trois premiers siècles de l’hégire, siècles d’ébullition en matière de religion, de nombreuses femmes seront encore prises en enseignantes par les apprenants de Damas, Médine ou Bagdad. Le 4e calife de l’islam, ʿAlī, prenait leçons auprès de Maymunah, une servante du Prophète ,ﷺ quand sa petite fille, Fāṭima, servira de source à Ibn Isḥāq et Ibn Hishām dans la rédaction de leurs célèbres biographies du Prophète ﷺ. Les quatre grands imams à l’origine des écoles de droit portant leurs noms, Abū Ḥanīfa, Mālik ibn Anas, Shāfīʿ et Aḥmad ibn Ḥanbal, ont tous eu des dames en professeures. Āʾisha bint Ajrad pour le premier; une autre Āʾisha – fille du général, compagnon et conquérant Sa’d ibn abi Waqqās – pour le second; Nafissā bint al-Ḥasan pour le troisième; Umm ‘Umār bint al-Ḥasan al-Thaqafī pour le dernier. En al-Andalus – l’Espagne devenue musulmane avant la fin du 1er siècle hégirien – c’est une ancienne servante devenue juriste à Médine, Abidā al-Madāniyya, qui ira y faire la plus belle des promotions de l’école malikite et du hadith (elle en a narré près de 10 000). Par ailleurs, on y trouvera, dans la Cordoue du 10e siècle chrétien, près de 1000 dans le domaine des lettres et de la calligraphie. À Jérusalem, l’on pouvait au 8e siècle chrétien aussi bénéficier des cours d’Oum Darda. Le calife omeyyade ‘Abd al-Mālik s’y rendait souvent quand l’autre calife omeyyade ‘Umār II consultait encore Khawlāh bint Ḥakīm. D’autres grands souverains musulmans s’aideront par la suite de femmes, ainsi de Nūr ad-Dīn et de Ṣalāḥ adDīn, deux des réunificateurs de l’Orient musulman et combattant contre les Croisés. Plus tôt, c’est al-Saffāḥ, le fondateur de la dynastie abbasside, qui avait eu pour fille une érudite du nom de Zaynab. De grandes oeuvres du patrimoine musulman seront aussi l’objet de l’étude et de la transmission de femmes savantes. Ainsi du plus fameux des recueils de hadiths, le Ṣaḥīḥ de l’imam Bukhārī, qui aura son célèbre commentaire de Karīma bint Aḥmad. L’historien Ibn ʿAsākir, qui compte 80 femmes parmi ses enseignants avait encore obtenu de Zaynab bint ʿAbd arRaḥmān le droit d’enseigner le Muwaṭṭa de Mālik, l’un des premiers recueils de hadiths. À Damas, au 14e siècle chrétien, c’est le très célèbre Ibn Taymiyya qui avait eu Zaynab bint al-Mākki en professeure, quand le spécialiste du hadith al-Mizzī suivait les cours donnés par Zaynab bint ‘Umār al-Dimāshqiyya. Toujours au milieu du Moyen-âge, c’est Shahdā bint al-Abārī qui fut l’une des savantes les plus respectées de ses pairs; entre autres de ses élèves : les très grands théologiens hanbalites que furent Ibn al-Jawzī et Ibn Qudamā al-Maqdissī. Du côté de l’imam Ibn Ḥajar alʿAsqalānī, l’on retrouve encore ʿĀʾisha al-Ḥanābila et Fāṭima bint al-Manjā Tanukhīyyā; quand le maître des exégètes et soufis de son siècle, le célèbre as-Suyūṭī, signale avoir appris le droit auprès de Ḥajar bint Muḥammad. Les savants musulmans médiévaux que furent Adh-Dhahabī, Ibn al-Athīr, Ibn Rajab al-Ḥanbalī et Ibn Kathīr auront tous eu des érudites en professeures. Le Mu’jam dʿAbd al-ʿAzīz ibn Fahd, publié en 861H (1457), contient ainsi à lui seul le nom de 130 femmes parmi les 1100 savant(e)s dont il fait le récit. Si sous les Ottomans, la tendance sera moins souvent la règle, des érudites seront toujours trouvées de l’Asie à l’Afrique.  Au 18e siècle chrétien, l’Empereur moghol Awrangzīb pouvait offrir jusqu’à 30 000 dinars à Maryām al-Kashmiriyyā afin qu’elle enseigne le Coran à sa fille. Cette dernière, Zayb al-Nisā, était par ailleurs devenue une calligraphe et grande élève en droit quand son autre fille, Zeenāt al-Nisā, avait été jusqu’à intégrer le comité savant chargé de l’élaboration du Fatāwā al-ʿĀlamgīriyya, traité de droit hanafite qui allait servir de Loi pour tout l’Empire indien. Un siècle plus tard, c’est Nana Asma’u, la fille du célèbre ʿUthmān Dan Fūdī, émir de Sokoto en Afrique, qui était devenue une auteure majeure de l’islam de l’époque. Tandis que de l’Europe à la Chine, les femmes furent jusqu’à l’ère contemporaine le plus souvent éloignées des cercles d’études et d’enseignement, elles furent à contrario une part importante de la transmission des savoirs en pays d’Islam. Et ce, depuis maintenant plus de 14 siècles.

Renaud K.


Pour en savoir plus :

  • Femmes d’islam, Issa Meyer, Ribat Editions, 2019
  • L’islam au féminin”, Renaud Klingler, Sarrazins N°2, 2018
  • Al-Shati, Bint (December 2006). The wives of the Prophet. Matti Moosa (trans.), D. Nicholas Ranson. Gorgias Press LLC.
     

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