
Dhimmis et Gens du Livre en Islam
(…) À l’abri des conversions forcées (interdites par l’islam), les dhimmis pouvaient le plus généralement garder et pratiquer leur religion sans aucun problème. Très souple dans un premier temps, le pouvoir musulman va se durcir à leur égard sous le règne dʿUmar ibn ʿAbd al-ʿAzīz, puis sous les règne d’autres omeyyades et abbassides suivants, tels Hārūn al-Rashīd, et plus nettement avec al-Mutawakkil. Les églises et synagogues ne peuvent sous ces califes être rénovées quand le dhimmi est encore contraint de tenir ses livres à l’écart des regards ou de raser les murs quand il est question de rencontrer des musulmans dans les rues. Mais ces mesures ne tiennent généralement pas longtemps et ne sont en somme respectées que dans la capitale de l’État islamique et quelques autres cités. Si les relations entre dhimmis et musulmans sont le plus souvent cordiales ou simplement respectueuses, des pogroms ont quelquefois lieu. Rares, ils sont surtout la conséquence de crises économiques graves au cours desquelles les dhimmis – souvent au coeur de la haute administration et dans les finances – sont sporadiquement visés. Théoriquement évincés de toute fonction politique, les dhimmis seront nombreux à aussi se faire un nom dans les instances gouvernementales. Il faut dire que les Arabes islamisés avaient eu mal à faire avec l’administration devenue la leur une fois les conquêtes des territoires perses et byzantins réalisées. C’est pour cela que les chrétiens – surtout des coptes et des nestoriens – et quelques juifs surent bien souvent rester en postes là où ils étaient trouvés et transmettre leurs fonctions à leur descendance. Les juristes de l’islam n’y voyaient d’ailleurs – le plus souvent – pas un problème à partir du moment où le dhimmi opérait en exécutant et non en commandant. De grands vizirs ou ministres ont ainsi été chrétiens ou juifs, ceci de l’Espagne musulmane à l’Égypte en passant par Bagdad ou Damas. L’épisode le plus difficile pour les dhimmis fut connu lors du règne du calife fatimide al-Ḥākim, qui avait, par excès de folie, passé plusieurs années à persécuter et humilier les coptes sous son joug. Sinon, la règle fut plus souvent celle de la tolérance et de l’échange qu’autre chose. On se rappelle notamment de toute la mansuétude de Salah ud-din lors de la reprise de Jérusalem, graciant ceux qui un siècle plus tôt avait aidé ou participé au massacre des musulmans au démarrage des Croisades. Ne sont-ce pas des juifs qui ouvrirent les portes de la plupart des cités de l’Espagne wisigothe à la venue des conquérants musulmans ? Les croisades, puis la montée en puissance des marchands européens et la collaboration des chrétiens d’Orient au pouvoir mongol avaient un temps (entre le 13 et 15e siècle chrétien) terni l’entente historique entre musulmans et dhimmis. Quelques vexations furent (re)mises en place, notamment sous l’Égypte des Mamelouks, telles que le fait de ne pouvoir monter plus que des ânes (et plus à cheval) et de ne plus pouvoir posséder de maisons plus hautes que celles des musulmans. En Occident, les Almoravides et Almohades inaugurent eux aussi à leur arrivée des politiques drastiques à leur égard , ceci sûrement en réponse à la Reconquista en vigueur plus au nord. Ainsi, si le facteur religieux a su jouer dans les quelques sursauts d’intolérance du monde de l’islam à l’égard du dhimmi, les facteurs politiques paraissent avoir prédominé sur l’intolérance proprement religieuse. La constitution de l’Empire ottoman va d’ailleurs refaire du dhimmi l’individu qu’il était avant les premières guerres islamo-chrétiennes. Libre et jouissant de l’entièreté de ses droits, il revient même – et très souvent – aux plus hautes fonctions de l’État. C’est encore chez les Ottomans que les juifs bannis d’Espagne et plus largement d’Europe trouvent refuge à l’époque moderne. Au final et à comparer, la situation des minorités religieuses dans le monde de l’islam est sans commune mesure avec ce qu’elle était dans l’Empire byzantin comme dans l’Europe chrétienne. Les minorités religieuses ont d’ailleurs eu plus souvent l’habitude, jusqu’à très récemment, de préférer migrer en terre d’Islam que d’en sortir. (…)
L’article est à consulter dans son intégralité dans le numéro 4 de Sarrazins, en vente ici :
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L'adab ou la prose des grands
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