Récits

Des sciences arabes

(…) Les sciences physiques et naturelles englobent de nombreuses disciplines. Parmi celles-ci, on peut citer la chimie – ou l’alchimie – que les Arabes développèrent au point où l’on tend souvent à leur en confier la paternité.  Le terme d’alchimie provient d’ailleurs de l’arabe al  kimiya.  Définie comme la science de la transformation de la matière, introduite ainsi en Europe sur le tard – notamment grâce aux travaux d’Antoine Lavoisier – on en trouve en fait déjà des traces chez les Égyptiens, Grecs, Chinois et Perses dès l’Antiquité.  Mais avec les Arabes, la chimie prend un véritable tournant : elle se débarrasse (certes pas toujours) de l’occultisme qui la caractérisait pour se transformer en une véritable science à part. Les chimistes arabes vont ainsi passer maîtres en distillation, dans la réalisation de parfums, tandis que leurs nombreuses expérimentations profiteront tant à la pharmacopée qu’à l’industrie du verre, de la céramique, du textile et de la métallurgie. 

Abu Abd Allah Jabir Ibn Hayyan (Jaber en Occident)  peut ainsi aisément être considéré comme le père de la chimie moderne.  Né en l’an 103 de l’hégire (721)  dans le  Khurasan, disciple de l’érudit et imam Jaffar as-Sadiq, il réalisera une grande partie de ses travaux sous la bénédiction du calife abbasside Harun al Rashid. Prolifique et pluridisciplinaire, on lui attribue près d’un millier d’ouvrages ; son  Kutub al mawazin  (Le Livre  des balances)  étant sûrement le plus connu. Dans ses écrits, il indiqua les procédés par lesquels passer afin de fabriquer l’acier et raffiner d’autres métaux, ou encore comment teindre les textiles, préparer des vernis rendant imperméables ces derniers, ou concevoir de l’encre phosphorescente. Aussi, il travailla à précisément décrire le comment de la préparation de l’acide sulfurique et nitrique. On lui doit aussi la découverte du carbonate comme l’élaboration des premières lois des proportions définies, plus tard attribuées au  français Louis Proust. Fabricant d’élixirs, il travaillait essentiellement à établir un équilibre entre les ”natures”. Parfois symbolique ou même ésotérique, il était néanmoins – et contrairement à ses prédécesseurs – un savant pratique et soucieux de l’expérimentation.

Muhammad ibn Zakaria al-Razi  (né en 240H), médecin le plus célèbre du Moyen Âge, était aussi un alchimiste des plus  reconnu.  Précurseur en biochimie, pharmacologue hors pair, avec lui apparaissent les premiers véritables laboratoires chimiques, dont le premier que l’on pouvait qualifer ”de recherche”.  Il fait même appel à des maîtres verriers et métallurgistes afin de développer l’appareillage nécessaire à ses expériences.  Son  Sirr al-Asrar  (Secret  des secrets)  est un ouvrage majeur du 3ème  siècle  hégirien.  Ailleurs, il consigne l’ensemble des solutions acides et alcalines  (de l’arabe al qili), et en décrit les procédés de fabrication.  Il travaillera surtout à faire de la chimie une science servant la santé et le développement médical. Son savoir traversant rapidement les frontières du califat, il est ainsi resté longtemps une référence en la matière pour les Européens  qui le renommeront  Razès.

Abu Bakr Ahmed ibn-Washiyya, l’andalou Maslama al-Marjiti ou encore Abu al Hakim al-Kathi  ;  nombreux seront les hommes de science du monde musulman à se faire aussi alchimistes. Ils étaient connus et admirés pour cette façon impressionnante qu’ils avaient de réussir à transmuter les métaux et modifier les éléments et substances. Considérée comme une science ô  comment spirituelle, où le chimiste se laissait à interpréter de façon mystique le développement de l’âme humaine, la chimie était l’objet de tous les fantasmes et de lieux communs imaginables. Sous un angle plus technique, les chimistes perfectionnent non seulement la balance  en en  systématisant l’usage, mais ils vont surtout élaborer un tout nouvel objet :  l’alambic  (de l’arabe al-anbiq). Longtemps durant, on tenta parmi les alchimistes de s’essayer à transformer encore les métaux divers en or.  S’ils n’y arriveront jamais, ils réussiront au travers de ces recherches à découvrir bien de nombreux produits, dont l’alcool  (de l’arabe al-kohl).  Notons que bien des savants musulmans d’époque vont longtemps considérer une partie de la chimie, après Jabir, comme du pur charlatanisme.  Ibn Sina (Avicenne) était de ceux-là, tout comme le savant polymathe al-Biruni ou encore le célèbre Ibn Khaldun.

En optique, les découvertes vont être, en terre d’Islam, considérables.  Ibn Sahl va déjà divulguer cinq siècles avant Descartes la loi de la réfraction, démontrant en un traité rédigé en 373 H (984)  sur les miroirs ardents,  comment miroirs,  courbes et lentilles pouvaient focaliser la lumière en un point. Mais c’est surtout avec son élève, Ibn al-Haytham, que le genre va se voir bouleversé. Illustre savant médiéval, il est d’ailleurs encore considéré comme le premier à avoir introduit la méthode scientifique telle que connue aujourd’hui (observation, définition du problème, formulation de l’hypothèse, vérification au moyen de l’expérimentation, analyse des résultats, interprétation, publication des résultats), ce qui fait de lui – pour beaucoup – le premier véritable scientifique de l’histoire connue. Savant en philosophie, astronomie, mathématiques et médecine, sur les 200 ouvrages lui étant attribués, 21 traitent de physique, 16 uniquement d’optiques. Très critique, il va complètement réviser les conclusions des savants antiques.  Travaillant sur la réflexion et la réfraction de la lumière, il va véritablement battre en brèche les conclusions d’Euclide et Ptolémée.  Eux pensaient que la lumière émanait des yeux, éclairant ainsi les objets;  lui prouvera le contraire. L’œil est alors un instrument optique et la lumière une entité physique bien indépendante. Partant du principe que toute lumière directe blesse l’œil, elle ne pouvait pas déduction logique qu’être étrangère à l’individu. Aristote avait déjà en son temps émis cette  conclusion, mais  sans la vérifier; Ibn al-Haytham  s’en était chargé. Son  Kitab al Manazir (Traité d’optique) et son  Risala fi-l-Daw (Traité de la lumière) vont révolutionner le genre, devenant des ouvrages lus et relus, traduits et copiés durant des siècles de la Perse au royaume franc.

Précurseur en anatomie de l’oeil, Ibn al-Haytham  illustrera encore comment l’œil  pouvait percevoir ce que l’on voit tout en expliquant le pouvoir grossissant de la lentille. Il faisait d’ailleurs tous ses travaux dans une chambre noire dont on lui doit aussi l’invention.  En tant que véritable ingénieur de la lumière, il démontra que la lumière de la lune n’était aussi que celle du soleil se reflétant sur elle…

 

La suite de l’article est à lire dans le numéro 1 de Sarrazins, à commander ici :

https://www.sarrazins.fr/produit/sarrazins-n1/