Récits

De l’histoire de la Nation of Islam

C’est en 1349H (1930), à Detroit, cité industrielle de l’extrême nord des États-Unis, que la Nation of Islam connaît ses premières heures. À l’époque, la lutte pour les droits civiques n’est même pas encore en germe, et la ségrégation raciale bat son plein. Ancien membre du Moorish Science Temple, organisation afro-centriste d’inspiration musulmane née plus tôt, Wallace Fard Muhammad pose les bases de son propre groupe, la Nation, en s’entourant de quelques fidèles à qui il annonce très vite la couleur : il serait le Messie tant attendu, en lequel Allah Lui-même se serait incarné.

 

Pour le FBI, il est alors Wallace Dodd, un Néo-Zélandais né en 1308H (1891) et installé depuis près de deux décennies aux États-Unis. Délinquant récidiviste, arrêté pour attaque à main armée ou encore pour infraction à la prohibition de l’alcool, Wallace serait un de ces repentis cherchant à surfer sur la vague afro-messianiste à la mode à ce moment au sein des minorités. Pour ses adeptes, il est un natif de La Mecque, ancien diplomate du Royaume du Hijaz (avant la création de l’Arabie Saoudite) venu prêcher la bonne parole aux Afro-Américains. Tous, de ses fidèles à ses opposants, attestent que Wallace n’était aucunement un noir, mais un métis. Polynésien-blanc pour les autorités, il est pour d’autres le fils d’un Indien et d’une Russe de confession juive, quand il n’est pas décrit comme un Palestinien. Les centaines de pages (accessibles en ligne) que le FBI tient sur lui font en tout cas mention d’un personnage trompant constamment ses interlocuteurs sur ses origines et son nom; il aurait usé de quelque 58 identités différentes lors de ses pérégrinations.

 

Ses positionnements doctrinaux sont peu connus, mais les bases du mouvement sont là : il s’agit d’une affaire de Noirs pour des Noirs en lequel l’homme blanc ne saurait avoir de place. Pour cause, celui-ci ne serait qu’une émanation diabolique, une création vieille de 6 000 ans résultant des travaux d’un scientifique antique nommé Yakub. Tout doit être entrepris afin de se libérer des mains du Blanc et inversement chercher à reprendre la domination sur lui. Écumant les rues à répandre la bonne parole, il se fait en parallèle une réputation de diététicien avant l’heure : son régime sans porc que ses fidèles se sont mis à suivre ferait des merveilles sur la santé. En 1351H (1932), après un peu plus d’un an de prêches, un événement vient cependant troubler l’évolution de la secte nouvelle. Wallace est en effet arrêté en compagnie de l’un de ses plus proches disciples : Robert Karriem. Suspecté d’être l’auteur d’un sacrifice humain – voué à Allah selon ses dires -, l’homme fait ainsi passer malgré lui au-devant de la scène l’organisation dans les médias locaux, attirant par là les plus hautes autorités du pays. C’est lors de son interrogatoire, que Wallace, pour se sauver de l’impasse, aurait tout avoué : il ne s’agissait que de se faire de l’argent sur le dos de quelques crédules. Sans plus aucune charge retenue contre lui, il retrouva la liberté, mais non sans devoir quitter la ville. Laissant Detroit derrière lui, on ne trouve après 1353H (1934) plus aucune trace de lui.

 

Pour les membres de la Nation, la disparition de Wallace Fard Muhammad est évidemment révélatrice de l’aspect divin du personnage. Les membres faillent cependant à s’entendre à lui trouver un successeur; mais un d’eux arrive à se démarquer du lot. Il se nomme Elijah Poole. Né en 1314H (1897) en Géorgie, il est l’un des fruits de l’immigration noire ayant quitté le sud raciste et violent pour un Nord plus ouvert. Membre précoce de la Nation, après avoir lui aussi été un fidèle du Moorish Science Temple, il s’y était fait rebabtpiser Elijah Muhammad avant de se constituer en chef incontesté du mouvement au lendemain de la disparition du fondateur. Désormais à la tête de plusieurs centaines de disciples obéissants, il prend le titre de Muhammad Rassoul, et plus encore, de Messager d’Allah, rompant une fois de plus avec le credo musulman classique.

 

Limitée à Détroit puis à Chicago, la Nation of Islam s’étend rapidement à d’autres villes sous le règne d’Elijah. Grâce aux dons, il fonde une série de Temples (non pas de mosquées) dans tout le Nord est des États-Unis. Il atteint ainsi rapidement New York. Les Black Muslims de la Nation sont alors vus dans les rues à prêcher, dans les prisons, organisant encore des conférences en quelques halls. Des dizaines d’adeptes joignent le groupe chaque année; ils sont bientôt plus d’un millier. Le succès reste cependant confiné au Nord. En effet, les appels d’Elijah ne trouvent véritablement aucune oreille attentive dans le Sud, faute à des communautés noires bien trop attachées à leurs pasteurs et paroisses pour prêter attention à l’islam d’Elijah. Pour mieux diffuser les préceptes de la Nation, un journal est alors créé en 1353H (1934) : The final call to Islam. D’abord marginal, le papier est bientôt lu dans la plupart des communautés noires du pays. Le principe est clair : il faut pour les Blacks Muslims s’émanciper de toute emprise étatique et créer ses propres institutions. Installé dans la capitale jusqu’en 1361H (1942), Elijah en profitera pour s’instruire dans la Bibliothèque du Congrès, peaufinant ainsi son style et ses connaissances.

 

Pour fédérer davantage les croyants de la Nation, il crée dans les années qui suivent un Savior’s Day, soit l’anniversaire, fêté un 26 février, de la naissance supposée de Wallace, plus que jamais considéré comme Allah fait en homme. Comme le veut la croyance déjà partagée par feu Wallace, Elijah s’inscrit comme l’homme inspiré d’Allah ayant vocation à libérer l’homme noir du démon blanc, clôturant le cycle de domination qui faisait des Noirs les servants et esclaves des seconds. Cherchant à sortir des seuls cercles noirs, la Nation se politise et intervient également dans les débats d’actualité. Ainsi, alors que le gouvernement américain décide de s’engager dans la Seconde Guerre mondiale, Elijah milite pour la non-intervention contre le régime nazi, tenant des réunions diverses à ce sujet, au cours desquelles il affirmait son soutien aux Japonais qu’il décrivait comme des “frères”. Inculpé pour trahison et sédition, il est pour sa dissidence arrêté avec de nombreux autres membres de la Nation et mis en prison pour n’en sortir qu’après quatre années de détention, en 1365H (1946). Réinvestissant ensuite le pavé pour prêcher sa vision de l’islam, Elijah peine cependant à faire croître la renommée de son organisation; les conversions semblent suivre autant que les départs. C’est la venue d’un membre tout particulier qui va fournir à la Nation la renommée dont elle avait besoin. Il se nomme Malcolm Little et va bientôt rendre la voix des Blacks Muslims audible dans le monde entier. (…)

 

Renaud K.

 

L’article dans son intégralité est à lire dans le numéro 4 de Sarrazins, à commander ici :

 

Sarrazins N°4 (Réédition)